Robin Wen. Blue Rave
Vivons heureux, vivons cachés
Naviguant entre la démystification de sous-cultures et l’embellissement poétique d’une réalité transgressive, Robin Wen explore continuellement l’univers des free parties. Soit ces orgies de musique techno qui apparaissent, aux yeux des non-initiés, tel un microcosme parallèle régi par ses propres codes. Un milieu sous des dehors désenchantés que Robin Wen comprend intimement. Armé de ses stylos à bille et pinceaux, l’artiste se fait le chantre d’une jeunesse désabusée. Prenant le contre-pied formel de cet environnement à l’esthétique brutale, Robin Wen livre des œuvres, hyperréalistes et poétiques, d’une finesse inégalée permettant de déconstruire les préjugés.
Par la capture subtile des dos de ses modèles, Robin Wen dresse le portrait d’une jeunesse fragile qui cherche à échapper aux normes imposées par la société. Le dos, c’est l’anonymat. Celui recherché par les teufeurs participant à ces rassemblements clandestins. Tous dansent de dos, face au mur de sons crachant ses décibels. Tourner le dos agit aussi, symboliquement, comme un acte de résistance. Une manière de s’extraire du système dominant, directif et intrusif, pour construire un monde dans lequel ces idéalistes élaborent leurs propres règles. Cette marginalité d’une génération en quête de liberté est sublimée par une maîtrise technique presque insolente. Plus encore, la poésie est accentuée par l’exploration récurrente d’un motif : discrètement provocatrice, la nuque se découvre. Territoire délicat, elle incarne une zone de désir au potentiel fantasmatique, une arme de séduction suprême qui nous invite à la suivre…
Intitulée Blue Rave, cette série amorce un transfuge de classe, participant activement à la réhabilitation de cette contre-culture que sont les free parties, en appelant la peinture à l’huile ou un outil d’une banalité affolante : ce bic bleu qui gagne, entre les mains de Robin Wen, une noblesse bouleversante.
Texte écrit par Gwennaëlle Gribaumont
Critique d’art et journaliste
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Robin Wen.Entremêler
Il est des étreintes dont l’ardeur et l’intensité se conjuguent à la douceur et à la pureté. Klimt, Rodin, Brancusi… Leurs célèbres entrelacs et baisers l’ont éloquemment illustré. Avec sa série « Entremêler », Robin Wen fait montre de la pérennité comme de la richesse suggestive et visuelle de ce thème. Cristallisés au gré des frottements patients d’une bille de bic quatre couleurs sur le papier, les corps se fondent, se confondent, et les visages s’engloutissent avec une tension et une fluidité singulières à l’artiste. Devenues anonymes, ces figures nouées s’affichent tels nos propres reflets voire la projection de nos imaginaires. Les « entremêlés » de Robin Wen dépassent alors leur contingence initiale – le contexte des Free parties qui alimente l’univers de l’artiste - pour leur conférer le statut emblématique d’un « Nous » individuel et collectif. Universels, atemporels, ils nous semblent en effet assumer une possible fonction allégorique en activant l’évocation des dispositions contradictoires, et complémentaires, inhérentes à l’humanité : force et fragilité, trivialité et noblesse, beauté et disgrâce, séduction et répulsion, amour et aversion…
Texte écrit par Claire Le Blanc
Conservatrice et directrice du Musée d’Ixelles
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Robin Wen.Lumière
Les « Lumières » de Robin Wen explorent différents champs de la représentation, selon que l’artiste a recours à des photographies, ou qu’il laisse libre cours à son imagination. A la première catégorie ressortissent les « Lumières » 1, 2, 3 et 6. Les trois premières sont réalisées au départ d’images de feux d’artifice : une explosion, une gerbe lumineuse retombant vers la Terre, ou l’ascension d’un jaillissement d’étoiles. La suivante nous montre des spots dont les faisceaux trouent une obscurité que l’on devine enfumée, évocation de la scène musicale qu’affectionne l’artiste, et qui lui sert d’inspiration dans d’autres œuvres. Robin Wen quitte ensuite le domaine du réel pour produire des formes inventées, conçues au départ de motifs existants qu’il manipule jusqu’à les rendre impossibles à identifier, débouchant sur une quasi abstraction, tel ce serpentin lumineux ou ces successions géométriques semblables à des brins d’ADN. Pour représenter ces lumières artificielles, Robin Wen a, lui aussi, recours à un artifice : les formes ne sont pas ajoutées au fond bleu mais bien soustraites à celui-ci. C’est bien la couleur du papier qui produit les tonalités blanches entourées, parfois légèrement envahies, par un ciel de bleu d’encre réalisé au stylo à bille. Il y a quelque chose de monacal dans ce travail qui requiert de s’abstraire de tout ce qui entoure le geste créateur. Un temps impossible à quantifier, contrairement à celui du déplacement de la lumière dans l’espace qui est, lui, une constante fixe.
Texte écrit par Pierre Yves Desaive
Critique d’art et conservateur pour l’art contemporain aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
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Diplômé de La Cambre en 2018, et lauréat du prix des Arts catégorie Dessin et Peinture 2018 de Woluwe-Saint-Pierre, Robin Wen vit et travaille à Bruxelles. La pratique picturale de l’artiste explore le monde de la Free Party à travers son mode de vie, celui d'une jeunesse en quête de liberté. Une démarche initialement documentaire. En utilisant ses archives personnelles ou des objets provenant de sa vie quotidienne, Robin Wen traite avec force et sensibilité les fragilités et les violences de ce milieu. Devenus des « objets anthropologiques », ses peintures sont des témoins d’un univers oscillant entre le fantastique et le réalisme. Cette pratique s’inscrit dans la tradition de la peinture de genre que l’artiste détourne et se réapproprie.
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Infusant l’univers des Free parties, le plasticien Robin Wen met son exceptionnelle maîtrise technique au service d’une idée de la liberté. Celle-ci, sauvage, secrète, grandiose et humble a sans doute façonné l’artiste autant qu’il n’a lui-même contribué à la développer, tandis que, jeune adulte, il montait des sounds systems dans les déserts verts des Hautes-Alpes.
Cachées, isolées au milieu de rien tant pour ne pas déranger que pour ne pas l’être en retour, les Free sont néanmoins traquées par l’ordre et ses forces. Matériel détruit, danseurs arrêtés, les préjugés qui entourent le mouvement semblent suffisants pour justifier une agressivité sans commune mesure avec les délits commis. A tel point qu’il est difficile de ne pas envisager qu’au-delà d’une quelconque nuisance – c’est bien la liberté en elle-même qui terrorise.
Né à Taïwan, île indépendante mais néanmoins revendiquée par la République Populaire de Chine comme l’une se des provinces, Robin Wen est particulièrement sensible à cette notion de liberté. Au fil d’un protocole organique, véritable écosystème créatif, ce plasticien diplômé de La Cambre part d’abord en quête d’images photographiques issues de ces nuits au creux desquelles résonnent les caissons de basses. De ces photos, il tire d’étonnants dessins préparatoires réalisés à l’usure de stylos à bille bon marché dont le crissement – à l’instar de l’électro-tribe emblématique du mouvement, le mettent dans un état méditatif propice à la création. Ces esquisses peuvent alors devenir sujets de grandes peintures à l’huile ou à l’acrylique, charpentées en triptyques mais fonctionnant isolées, tant cadre et hors cadre sont, dans les créations de Robin Wen, chargés de narration. In fine, certains de ces tableaux prennent corps et deviennent sculptures, objets parfois sonores, toujours métaphoriques.
Par ailleurs, les œuvres de Robin Wen témoignent par l’absence : les danseurs ont disparu, restent des bâches, des tentes ; les murs de caissons se sont changés en empilements de ballots de paille ; les chiens errent sans maîtres. Dans les dessins, d’un incroyable réalisme, les sujets sont de dos, anonymes : pour vivre heureux, vivons cachés ! Reste une étrangeté, une sensation de déjà-vu teintée de nostalgie, une vibration hallucinatoire qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres surréalistes.
Ainsi, toute l’œuvre de Robin Wen oscille entre légèreté apparente et tension. Ses successions d’incarnations : dessins, peintures, sculptures, ainsi que ses nombreuses références à l’Histoire de l’Art, sont – dans leur processus même – un hommage rendu, une marque de respect témoignée à cet univers incompris et traqué, à cette liberté chèrement payée par celles et ceux qui, loin de tout, n’agressent pas plus d’oreilles que l’arbre qui s’abat seul dans la forêt, là où personne ne peut l’entendre…
Laurence Baud’huin, septembre 2022
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L’univers de Robin Wen (Taiwan,1994) est celui de la Free Party. Dans ses peintures, dessins ou sculptures, l’artiste représente des scènes prises au vol lors de ces fêtes techno organisées illégalement dans les campagnes, tel un espace de liberté éphémère pour une génération en opposition au système dominant. L’espace d’un moment, ces jeunes oublient leur quotidien pour s’abandonner dans la fête, les sensations, l’amour. Ils sont, du moins temporairement, à l’abris des regards et expriment, à travers leurs gestes, leurs tenues vestimentaires ou encore leur regard, une résistance à une société qui leur semble étrangère. Hors du temps, ils laissent libre cours à leurs rêves et espérances dans cet environnement qu’ils s’approprient. Avec Robin, nous pénétrons dans le monde de la nuit, dans ce espace parallèle qui, sous ses apparences de débauche, est porteur d’idéaux, de convictions politiques ou de mal être. Par un rendu minutieux des objets, des matières, des drapés, des expressions…, avec une forme qui rappelle les natures mortes ou la peinture de genre, Robin élève ces sujets marginaux au rang de la peinture classique. Outre le sujet, l’outil pauvre qu’il utilise pour réaliser sa série de dessins bleus au stylo bille, ainsi que la feuille de papier croquis, contraste également avec une représentation détaillée, voire hyperréaliste, et un usage du clair-obscur. Entre démarche documentaire et intérêt pour la symbolique d’un univers auquel il appartient, Robin porte un regard engagé sur le monde en même temps qu’il dégage le désir charnel, la soif de transgression et le besoin d’évasion d’une jeunesse fragile. Corps enlacés, visages en trans, portraits, voitures à l’arrêt, champs désertés et terrains vagues, chiens errants, spots et lumière crépusculaire… , les sujets d’inspirations de Robin témoignent de modes de vie contestataires, d’un retour à la nature et d’une attirance pour les relations désinhibées. Ils représentent ce monde alternatif dont on ne peut qu’imaginer l’ambiance sonore.
Laura Neve, 2022
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Robin Wen (1994), des « free party » ou « rave party » auxquelles il accorde le statut de cérémonie chamanique plantée dans quelque territoire rural en tant qu’espace- temps d’une liberté pimentée d’interdit transgressé. Pour illustrer ces manifestations décalées par rapport à la légalité, il a choisi un réalisme sans outrance, rassurant, en opposition formelle avec la perception sociétale de ce phénomène à la fois contestable et contestataire. En attestent : ses portraits d’individus rendus anonymes parce que peints de dos ; son étude en vue de transcrire l’ambiance d’une de ces « party » entre bovins et frontières végétales ; sa transposition minutieusement dessinée au stylo bille d’une tente abritant d’éventuels fêtards invisibles.
Michel Voiturier, «Génération 90» Flux News 2021
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Le travail de Robin Wen est constitué de scènes qu'il compose à l'aide d'images préexistantes servant de support à ses compositions. Ces images utilisent des codes empruntés aux raves parties animées d'une forte charge symbolique. Si le style de l'artiste évoque la peinture figurative anglaise (scènes de chasse et natures mortes), un contraste s'opère entre cette apparente poésie et le choix d'un sujet contemporain axé sur la représentation sociale des free party. Dans sa fonction sociale, la free party consiste à la réunion de protagonistes lors de cérémonies païennes clandestines qui évoquent les pratiques chamaniques et celtiques. À l'écart de la société, dans l'obscurité, ces fêtes réunissent des tribus de tous les milieux, de toutes tendances, au cœur d'espaces préservés favorisant un retour à la nature. À l'instar des tribus celtiques ou même gitanes, le rassemblement autour d'un centre techno punk anarchiste attire une jeunesse dansante. Sous les drapeaux pirates, la meute s'organise entre les véhicules retapés et surmontés de soundsystem, les chiens en liberté, les tentes, la terre, la boue… Liberté
Camille Brasseur, Galerie Le[Cloître] 2020
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Des manifestations sonores comme un cri dans le vide. Robin Wen présente des images allégoriques des « free party », itinérantes musicales clandestines contemporaines, tribales et rurales, dont il s’approprie les codes et les rites pour nous les dévoiler en partie dans son travail polymorphe. L’une des manifestations perceptibles dans ses peintures, ses dessins et son installation, est de nous faire ressentir les basses du « tribe » étouffées comme si elles nous parvenaient dans un cocon prénatal. Partant de scènes constituées à partir d’images préexistantes (photos) ou fabriquées (souvenirs), il mêle les références à la peinture ancienne (drapés, natures mortes, scènes de chasse, triptyque) à sa propre expérience, ses propres sensations, ses propres pulsations.
Régine Carpentier, Prix Coup de Coeur des Amis de La Cambre 2018
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L’artiste évoque un monde de corps fins, nerveux, une jeunesse qui dort à l’abri des ventres des véhicules, avec les chiens. Des drapeaux pirates flottent dans le vent, des troupes dansent sous la résonance d’un rythme de tambour. Les manifestations sonores sont paradoxales, illégales, revendiquent une liberté musicale qui résonnerait dans le vide comme un cri silencieux.
Ces sound systems sont indépendants et véhiculent dans leur constitution un élan contestataire qui leur est propre. Leurs noms évoquent cette pensée : Erreur 404, Animaltek, System51, Les enfants sages, Requiem, Anonymes, Electrocution, CirkusAlien, Spiral Tribe...
Le travail de Robin Wen est constitué de scènes qu’il compose à l’aide d’images préexistantes et fabriquées. Ces images utilisent des métaphores et des codes qui leur sont propres, au sein desquelles les lieux et les participants revêtent des charges symboliques fortes. L’évocation de la peinture historique - drapés, natures mortes, scènes de chasse - amène un regard critique et poétique sur la représentation sociale actuelle des Free party.